Mercredi 22 Février
“Rendez-vous à Chà¢telet au Relay du quai du RER B vers Charles-de-Gaulle”… Sempiternelle phrase des derniers mail à l’équipe avant le départ pour une compétition, bien mise à mal par les travaux en cours dans cette gare. Malgré tout, deux élèves, Yakob et Gaà«l, y retrouvent sans difficulté les deux encadrants, Jean-Louis Tu et moi-même. C’est un RER B sans histoire qui nous emmène jusqu’à l’aéroport, o๠nous retrouvons Martin, Arthur, Savinien et Joachim.
* Drapeau (à peu près) formé, on est prêts pour la cérémonie d’ouverture ! *
Les contrà´les passés, Martin montre à ses camarades un énorme pavé, qui contient les problèmes des listes courtes d’un demi-siècle d’Olympiades Internationales. Juste avant de partir, c’est malin… L’avion décolle avec un retard très tolérable, et nous sommes accueillis par une sympathique organisatrice à l’aéroport. Notre car nous dépose dans un hà´tel quatre étoiles, mais seulement pour les encadrants. Les élèves sont emmenés dans une cité universitaire o๠nous prendrons les repas. Le premier dîner permet de constater que la survie est possible.
* Poulet-patates, cornichonoà¯des en accompagnement : apparemment un repas traditionnel aux RMM. En dessert, semoule au lait avec de la cannelle. *
Quant au logement, Jean-Louis et moi héritons d’une belle chambre, presque aussi grande que l’immense salle d’eau attenante. Les élèves sont logés dans des chambres de 4, donc deux d’entre eux partagent la leur avec une autre délégation.
Nous enchaînons sur une réunion avec les autres encadrants et les organisateurs, pour prendre connaissance du sujet proposé par le comité de sélection des problèmes autour d’un excellent verre de vin. Nos hà´tes comptent peut-être sur l’alcool pour nous faire oublier les informations sensibles à ne pas communiquer aux élèves ?
Plus sérieusement, nous nous retrouvons face à six problèmes, livrés avec solution, mais qu’il convient de chercher soi-même pour mieux en évaluer la difficulté. L’énoncé définitif sera validé le lendemain matin en réunion. Il faut donc opter pour un compromis, le temps de recherche et celui de sommeil étant également précieux. Nous éteignons donc la lumière aux alentours de minuit, dans la proverbiale (et pesante) chaleur des hà´tels roumains.
Jeudi 23 Février
Nous profitons du buffet consistant du petit-déjeuner pour pallier aux éventuelles difficultés de la cantine du restaurant universitaire, avant de partir pour le lycée Tudor Vianu o๠se déroule notre séance de travail et o๠auront lieu les épreuves.
Durant ladite séance, il nous faut d’abord valider la liste d’exercices, ou proposer d’en remplacer un en piochant dans la liste supplémentaire qui nous a été fournie, si jamais la difficulté générale de l’énoncé est inadaptée ou si on retrouve un problème déjà traité durant la préparation olympique : les encadrants se doivent donc de jouer honnêtement le jeu. Ensuite, il faut valider l’ordre, sachant que les trois problèmes de chaque journée doivent être rangés par difficulté croissante, et que la deuxième fournée est censée être légèrement plus coriace.
Auparavant, il nous a fallu clarifier un point de règlement, concernant le classement des dix-neuf équipes… car elles n’ont pas toutes le même nombre d’élèves ! En effet, il nous a été dit tardivement que quatre places étaient offertes à chacun des dix-sept pays (il y a deux équipes roumaines supplémentaires), et que pour tout élève supplémentaire, il faudrait payer 400€, mais on pouvait en inviter un nombre arbitraire sous cette condition. Ainsi, quelques équipes ont cru qu’on ne pouvait emmener que quatre élèves, de nombreuses autres dont nous-mêmes en avons pris six comme à l’habitude sans nous poser de question, et quelques-unes ont voulu profiter de cet entraînement grandeur nature pour une olympiade internationale : il y a notamment douze Russes.
D’habitude, le score total d’une équipe est égal à la somme des trois meilleurs résultats des six élèves, nous votons donc que les équipes surnuméraires devront avant l’épreuve choisir les six qui participeront au score national, ce qui pour la majorité des équipes dont la nà´tre n’engendre aucun changement. Bien évidemment, tous les élèves prennent part individuellement à la compétition, et ont la possibilité d’obtenir des médailles, dont les barres seront déterminées par les scores de tout le monde. Les organisateurs, désolés pour le premier petit couac survenu jusqu’ici, nous assurent que l’an prochain, cela ne se reproduira pas.
La dernière opération de la matinée consiste à fixer la formulation exacte des énoncés en anglais, avant que chacun ne les traduise dans sa langue. Nous laissons donc naturellement le chef de la délégation britannique mener les discussions (oui, il y a aussi une équipe américaine, et alors ?).
Le midi, nous retrouvons les élèves, qui ont passé une bonne nuit malgré le chauffage excessif des chambres, sans compter le petit désagrément subi par les deux partageant la chambre avec d’autres candidats, un de ces derniers ayant une ventilation nocturne personnelle quelque peu indiscrète. Ils ont visiblement apprécié la conférence de géométrie hyperbolique qui leur a été offerte, au point de ne pas faire la grise mine devant la ressemblance frappante des assiettes du jour avec celles de la veille – l’entrée est la même, les patates se sont elles transformées en purée…
Nous repartons vers 15h au lycée, pour terminer les traductions, concoctées avec moult soin pour nos chers petits. La mouture obtenue n’est pas toujours des plus concises ou élégantes. En effet, il s’agit de s’assurer que tout est compréhensible, quitte à rajouter des remarques et précisions, tout en collant le plus possible au texte anglais qui a été approuvé par tout le monde, ce qui laisse peu de liberté à la traduction. Si par exemple celui-ci précise “a>0”, nous devons écrire “a>0” et non pas “a est strictement positif”. Inversement, “a is positive” ne se traduit pas par “a>0” [on notera la subtile allusion à un fait de langue remarquable : en anglais, strictement positif se dit positive, et positif se dit nonnegative – chacun a sa manière de faire les choses de travers].
La cérémonie d’ouverture commence à 18h dans l’amphithéà¢tre d’une université spécialisée en économie. Les officiels se succèdent, rivalisant de concision (pour le plus grand bonheur de l’assemblée) dans des discours dont la chaleur rendrait jaloux n’importe quel radiateur de la ville. Nous font donc honneur de leur présence et de leur accueil : la directrice du lycée Tudor Vianu, le directeur de l’université, et la maire du premier arrondissement. Puis, dans une ambiance musicale finement choisie (la sono éructe “We are the champions”, pour la troisième année consécutive d’après Jean-Louis), les équipes défilent, prenant la pose avec leurs étendards.
Pour fêter cela, les patates ont été remplacées par du riz à la cantine. La semaine ne sera peut-être pas si monotone, tout compte fait. Nos élèves, eux, ont voulu s’assurer de faire des réserves substantielles avant l’épreuve, et sont d’abord partis découvrir la gastronomie locale avec leurs guides autour d’une pizza.
Pour les encadrants, il reste une dernière épreuve aujourd’hui : finaliser le barème du premier jour, à partir d’une proposition fournie par le comité de sélection des problèmes (en fait par Ilya Bogdanov, qui a mené la plupart des discussions de la journée après avoir abattu un travail considérable cette dernière semaine). Nous y arrivons… presque, les ultimes détails sont reportés au lendemain matin, pendant que les élèves composeront. Comme diraient les boulangers (le pain de cantine n’est d’ailleurs pas fameux), il est temps de retourner aux fourneaux… Nous avons aéré la chambre, mais le froid extérieur n’est pas de taille à lutter face à la climatisation.
Et surtout, n’attendez pas l’énoncé tout de suite demain… plusieurs sélections nationales (y compris loin à l’Ouest) l’utiliseront pour un test de première qualité, donc silence radio jusqu’en soirée.
Vendredi 24 février
En direct à trois minutes du coup d’envoi du premier round… les élèves sont en forme (sauf Martin qui n’a pas bien dormi), et tous sont prêts à en découdre !
* Arthur “Allez les Bleus” Léonard, confiant avant le combat *
* Notre Belge Savinien, pour les mathématiques francophones (et gourmandes). *
* Yakob Kahane, la géométrie pour la vie. *
* Vivre d’Animath et d’eau fraîche, by Gaà«l. *
* Joachim ou la joie des mathématiques. *
* Martin, résolu à résoudre. *
Quant à nous, nous rejoignons la salle des leaders, pour répondre aux éventuelles questions des élèves, transmises par écrit… la première nous arrive au bout de trois minutes : un de nos candidats hésite sur un terme du sujet. Nous devons alors proposer une réponse qui convienne à tous les autres leaders, avant de l’écrire et de renvoyer la feuille – d’autant plus qu’il est bientà´t imité par d’autres participants, pour la même raison. Ce ballet continue durant la première demi-heure, temps imparti pour poser ces questions. Ainsi, il est capital de lire attentivement TOUT l’énoncé et de commencer à chercher chaque exercice quelques minutes, pour être sà»r que chacun soit cohérent, et ne paraisse pas d’une difficulté fantaisiste (si on comprend “Trouver tous les entiers pairs compris entre 1 et 9” ou “Prouver que tous les zéros de la fonction zêta de Riemann sont d’abscisse 1/2”, il faut se poser des questions). En tout cas, personne ne semble avoir relevé la faute d’orthographe que nous avons malencontreusement laissée…
Pendant que les compétiteurs composent, nous partons visiter la faculté de mathématiques et d’informatique. En d’autres mots, nous sommes emmenés dans une salle de réunion aux fauteuils et assiettes bien garnies, pour une discussion avec le Doyen de l’université, o๠chaque chef de délégation présente la préparation olympique dans son pays : c’est fort instructif.
* Une “visite” très touristique. Notons qu’hier, nous avons marché près de quinze kilomètres à force d’aller-retours, mais on n’a pas vu grand-chose. *
Les Britanniques ont désormais un stage commun avec les Hongrois, le Mexique arrive enfin à générer un “effet boule de neige”, les anciens élèves revenant en nombre pour développer une préparation de plus en plus soutenue par le gouvernement, les Brésiliens ont vingt millions de participants à un concours national de mathématiques [edit : c’est très surprenant pour un pays qui compte deux cent millions d’habitants, mais d’après le gouvernement brésilien, l’OBMEP rencontre réellement ce succès http://www.brasil.gov.br/ciencia-e-tecnologia/2014/04/obmep-2014-tem-18-2-milhoes-de-alunos-inscritos-de-5-533-cidades ]. Nous ne pouvons pas en dire autant, et tout cela fait un peu rêver. Nous fixons ensuite le barème du second jour, toujours sous la conduite de l’infatigable Bogdanov.
* “Bucarest, une ville qui allie à merveille tradition et modernité ” comme dirait Lonely Routard. *
* La Place de la Victoire, o๠se sont déroulées les fameuses manifestetations ces dernières semaines. Une dizaine de personnes en journée, jusqu’à 200 le soir, mais aucun débordement. *
Nous retrouvons les élèves au déjeuner. Ils sont plutà´t déçus de leur matinée : personne n’a réellement avancé sur le 2 (de l’arithmétique des polynà´mes assez astucieuse) ni sur le 3 (de la combinatoire fortement capillotractée). Quant au problème 1, de la combinatoire bien plus abordable, seuls trois élèves, Joachim, Savinien et Arthur, pensent l’avoir entièrement résolu ou presque, les autres n’ayant traité que la première des deux questions.
Les élèves ont temps libre jusqu’au dîner. Nous recevons les photocopies de leurs travaux à 17h, qu’il faut lire soigneusement pour préparer la coordination avec les correcteurs le lendemain, en traquant tout élément qui pourrait apporter le moindre point. La pêche sera sans doute maigre sur les problèmes 2 et 3, nous nous attendons après lecture à un petit point en tout, pour Joachim sur le 2. Pour le 1, après en avoir discuté jusqu’à 22 heures, nous espérons au total jusqu’à 28 points (sur 42 possibles). On verra…
* Retour des pommes de terres, le riz se retrouve en dessert : 3-3 entre les deux féculents. Les légumes-qui-piquent et le pain-qui-s’émiette-vite sont toujours en lice pour le Grand Chelem. *
En attendant, le jury et l’ensemble des leaders offrent avec plaisir ce petit calmant aux insomniaques :
Samedi 25 février
Le départ vient d’être donné pour un second marathon de 4h30 ! Tout le monde a pu dormir, Martin va mieux, l’équipe est prête à tout donner, quoiqu’il advienne. Certains pronostiquent un retour en force de la géométrie, absente hier, d’autres implorent le ciel pour une surreprésentation de leur domaine de prédilection, arithmétique, algèbre ou combinatoire. Mais aujourd’hui, le ciel est gris, pour la première et sans doute dernière fois du séjour : autant rester bien au chaud pour faire des maths ! Et comme nous dit Savinien : “L’être humain n’a pas d’ailes, tant pis, il volera avec son coeur.”
Toutefois, tout le monde ne s’est pas levé du même pied : la première question qui nous arrive est d’un élève brésilien, mais le leader est absent… c’est finalement un mexicain qui la prend. La séance se termine à 9h30 + epsilon, c’est parti pour la coordination des copies ! Nous passons à 10h sur le problème 1, de loin le plus important pour nous. Après recomptage (une addition tout ce qu’il y a de plus périlleuse), c’est finalement 27 points que nous y demandions. Nous les obtenons tous en moins de dix minutes de discussion : 7 pour Arthur et Savinien, 6 pour Joachim, 4 pour Yakob, 2 pour Gaà«l et 1 pour Martin. Il nous fut facile de montrer aux correcteurs que Joachim était bien arrivé à une formule permettant d’obtenir tous les points sauf un, et non pas sauf deux, à en croire le barême. Expliquer que la dernière page d’Arthur, qu’ils n’avaient pas reçue, contenait le seul point qui lui manquait, fut également une formalité. Nous étions soulagés de voir que sa rédaction parfois elliptique ne leur avait pas posé problème. La quasi-intégralité de l’entretien fut donc consacrée à la copie de Savinien : ce dernier n’a rendu que du brouillon, mais quel brouillon ! Onze pages romancées o๠l’auteur nous fait part de ses réflexions et hésitations successives. Heureusement, le sommaire qu’il avait inséré en dernière page nous permet de montrer au jury les passages-clés, dont la longueur n’excède pas trois pages, o๠se trouvent tous les arguments nécessaires pour obtenir une note parfaite. Pour les deux autres problèmes, il nous fallut au total quatre minutes, le temps de trouver les feuilles de résultats, les remplir et les signer : Joachim obtient un point sur le 2, et c’est tout.
L’épreuve se termine sur le coup de 13h30. Joachim pense avoir trouvé le 4 (de la géométrie sur des paraboles), Yakob le 5. Sur cet exercice de combinatoire (découper un carré de manière plus ou moins tordue, un topos récurrent), plusieurs élèves pensent avoir des preuves “plus ou moins complètes”, mais ça, c’est à vérifier à la lecture des copies… Le 6 était également géométrique, et personne ne pense y avoir trouvé de résultat important. La récompense à la cantine est un dessert spécial : un gà¢teau de pà¢tes bouillies, le dessus étant carbonisé, collées dans une sorte de fromage sucré sans trop de goà»t (les Italiens ont fini leur assiette, c’est absolument sidérant – on les aurait plutà´t vus ainsi https://www.youtube.com/watch?v=fNT4yUlw59M ).
Comme la veille, l’après-midi est libre. Jean-Louis et moi recevons les copies vers 17h. Une paire d’heures nous suffit pour en faire le tour et savoir quels points nous défendrons demain. Si vous pensez que 18 copies pour deux personnes, c’est bien trop peu, envoyez-nous les và´tres :
Dimanche 26 février
La séance de coordination commence à 9h30. Le problème 4 est vite expédié : Joachim obtient 7 points pour une solution en géométrie analytique pleine de longs calculs, mais remarquablement menés par son auteur. Martin obtient 2 points pour un lemme intermédiaire. Puis nous avons une longue pause jusqu’à midi, o๠le cas du 6 est malheureusement vite réglé, sans le moindre point pour notre équipe. Sur le 5, tout le monde a 1 point pour une observation assez simple, et Yakob en reçoit 7 pour sa solution complète. C’est dommage, plusieurs élèves n’étaient pas loin de petits résultats partiels généreusement rétribués généreusement par le barème, et Arthur avait une idée menant en réalité à la solution, mais qu’il n’a ni exploitée, ni même écrite – ce qui aurait pu rapporter gros… Tant pis, c’est une bonne leçon pour la prochaine compétition ! En effet, on n’est jamais pénalisé pour toutes les remarques qu’on peut glisser dans sa copie, et certaines permettent de rentabiliser largement le prix de l’encre. Sur les deux jours, Gaà«l obtient ainsi 3 points, Yakob 11 points, Savinien et Arthur 8 points, Martin 4 points et Joachim 15 points. Les résultats sont disponibles ici : http://rmms.lbi.ro/rmm2017/index.php?id=results_math .
Nous profitons d’un très bon déjeuner-buffet au lycée, loin du poulet et des patates de la cantine de l’université. La réunion des leaders qui suit nous permet de fixer les barres de médailles : 32 points (sur 42) pour l’or, 24 pour l’argent et 18 pour le bronze. C’est malheureusement trop haut pour nous, et nous repartirons avec quatre mentions honorables, pour Yakob, Savinien, Arthur et Joachim qui ont chacun résolu un exercice complet. Nos six champions n’ont pas démérité, mais nous terminons avant-derniers au classement par équipes, devant la Slovénie. Le podium est constitué dans l’ordre de la Corée du Sud, du Royaume-Uni et de la Chine. Les pays devant sont pour la plupart des ténors de l’olympiade internationale, donc ce résultat n’est en rien surprenant, mais gageons qu’il piquera la fierté de nos élèves et qu’ils n’en auront que plus de motivation pour se qualifier à l’OIM et tenter d’y quérir un beau métal – facile à dire, mais pas impossible à faire (on me glisse dans l’oreillette que des personnes ayant eu très peu de points à cette compétition ont touché de l’argent et du bronze quelques mois après, comme quoi…).
Il est déjà l’heure de la cérémonie de clà´ture. Dans le hall du lycée, les équipes reçoivent leur diplà´me de participation sur la scène, les médaillés défilent du bronze à l’or, entre deux discours d’officiels dans un anglais plus ou moins compréhensible.
Guillaume CONCHON–KERJAN